L’acteur Mark Hamil après une conférence de Presse pour le film L’empire contre-attaque (18 décembre 1980).
Auteur Bogaerts, Rob / Anefo / Source Dutch National Archives, Creative Commons 3.0.

Produits dérivés Star Wars : les négociations de Georges Lucas (20 août 1973)

En 1973, après la réussite au box-office de son film American Graffiti, Georges Lucas change totalement de thème pour son projet suivant en décidant de mettre en scène une saga futuriste ayant pour cadre l’univers spatial : Star Wars. Fort de son succès commercial précédant, Georges Lucas put négocier différentes options avec la Century Fox, notamment celle…
10 novembre 2022

L’acteur Mark Hamil après une conférence de Presse pour le film L’empire contre-attaque (18 décembre 1980).
Auteur Bogaerts, Rob / Anefo / Source Dutch National Archives, Creative Commons 3.0.

En 1973, après la réussite au box-office de son film American Graffiti, Georges Lucas change totalement de thème pour son projet suivant en décidant de mettre en scène une saga futuriste ayant pour cadre l’univers spatial : Star Wars. Fort de son succès commercial précédant, Georges Lucas put négocier différentes options avec la Century Fox, notamment celle d’obtenir l’intégralité des droits sur les produits dérivés propres aux différents épisodes en échange d’un rabais sur le montant de sa rémunération1. Au cours de cette période, il n’était pas commun au sein des réalisateurs d’Hollywood de négocier ce type de droits avec les maisons de production car ils ne représentaient pas vraiment une source significative de revenus2. Georges Lucas n’étant pas lui-même totalement convaincu de sa démarche3.

C’est pourtant cette audacieuse négociation qui fera de lui non seulement un multimillionnaire (puis milliardaire) mais assurera également par la suite son autonomie financière et artistique vis-à-vis d’Hollywood. Retour donc dans les années 70 pour comprendre le contexte qui a précédé cette négociation, découvrir les différents points de cette dernière et voir les conséquences en matière de fabrication des produits dérivés face au succès inattendu du premier volet de Star Wars.

« … Je ne pouvais pas faire cela. Les studios ne l’auraient pas accepté… »

D’abord étonnés par cette demande puis persuadés que cet opus serait un probable échec, les producteurs de la Fox cédèrent à la requête de G. Lucas. Ce dernier y voyait une bonne opportunité pour être en mesure de financer ses futurs films tandis que les seconds y voyaient une bonne affaire4. La Fox lui concède dans un premier temps 60 % du merchandising (produits dérivés) mais il finit par obtenir 20 % de plus par an dans les deux années qui suivraient le film (soit 100%) avec en prime les droits sur les musiques du film et la réalisation des suites5.

Lorsque le réalisateur avait commencé à travailler sur le script du film au début des années 70, il s’était retrouvé avec un manuscrit de près de 300 pages, il se doutait que les studios seraient assez réfractaires face à la longueur du scénario : « … Je ne pouvais pas faire cela. Les studios ne l’auraient pas accepté… ». Il choisit donc le morceler en deux ou trois épisodes6. Le budget alloué au projet fut finalement de 11 millions de dollars avec une rémunération de 150 000 dollars pour Georges Lucas, en lieu et place des 500 000 dollars initialement proposés7.

1977 Stars Wars action figure display/Tom Simpson (CC BY-NC-ND 2.0)

En 1976, le droit de commercialisation des jouets Star Wars fut dans un premier temps proposé à la société Mego Corporation qui refusa l’offre au profit de la société Kenner8, un des départements de l’entreprise General Mills. Après deux ans d’écriture scénaristique et de pré production, le tournage du film débuta le 22 mars 1976 à Tozeur (Tunisie) avec une sortie en salles le 25 mai 1977. Le magazine TIME décela très tôt le potentiel du film et fut dithyrambique à son égard dès le 30 mai9. Après quelques semaines d’exploitation, le film connut un succès retentissant, dépassant de loin les espérances les plus optimistes. Au bout de six mois, il avait déjà rapporté 220 millions de dollars et ce uniquement sur le sol américain.

L’esthétisme de l’image, les effets spéciaux, la richesse des décors et l’importance des détails créés par Georges Lucas ont grandement contribué au succès du film qui remportera sept Oscars dont celui des meilleurs effets spéciaux en 1978. Lucas précisa qu’il souhaitait clairement conférer au film une dimension épique en sublimant l’image10.

« Nous vendons des jouets, pas des promesses »

La société Kenner ne fut absolument pas préparée pour répondre aux nombreuses demandes de jouets, d’une part parce que le succès du film fut fulgurant mais également parce que Georges Lucas, de peur des éventuels plagiats, était réticent à l’idée de fournir avant mai 1977 les dessins et silhouettes des personnages de Star Wars11. L’entreprise proposa pour le Noël de la même année un ticket échangeable pour obtenir les quatre futures premières figurines : Luke Skywalker, la princesse Leia, Chewbacca et le robot RD-D212. Huit autres figurines viendront ensuite les compléter. Les magasins et centres commerciaux de New York et Chicago furent rapidement en rupture de stock13, certains magasins ayant même renoncer à vendre ces licences, « Nous vendons des jouets, pas des promesses » déplora l’un des magasins new-yorkais14.

Détenant 100% des droits sur la franchise Star Wars, Georges Lucas se retrouva rapidement avec une manne financière considérable. Entre 1977 et 1978, la franchise a vendu près de 100 millions de dollars de jouets15. Les produits dérivés représentaient un marché à part entière, parallèlement à la vie du film. G. Lucas déclina l’offre sur divers objets avec entre autres des Monopoly, des Trivial Pursuit et des jeux Battle Ship16. Entre 1977 et 1980, il gagna près de 500 millions de dollars17.

Alec Guinness et Georges Lucas sur le tournage de Star Wars (1977).
Picture Lux / The Hollywood Archive / Alamy Stock Photo

Pour le second épisode intitulé L’empire contre-attaque, qui sortira en 1980, Georges Lucas et la société Kenner étaient cette fois-ci prêts à répondre à la demande massive de jouets en offrant même des promotions au public par voie postale et en ajoutant le personnage de Boba Fett18. Le réalisateur installa l’ensemble de ses studios près de la baie de San Francisco, région où il a grandi, dans ce qui sera connu comme le Skywalker ranch et son lac Ewok19. Il acheta en 1979 les domaines agricoles avoisinants pour construire des salles de projections privées et en faire un lieu propice à la réflexion pour ses amis réalisateurs et lui afin d’étudier et d’expérimenter de nouvelles idées cinématographiques20.

Avant le premier épisode de 1977, la Century Fox avait tenté de vendre le film à divers studios car elle craignait de perdre de l’argent avec les dépenses hors budget21 mais après le succès du film en salles en septembre elle s’est montrée par la suite plus propice à négocier avec Georges Lucas. Le réalisateur conclut rapidement un accord avec la Fox en décidant de financer lui-même le film par le biais de sa société avec les gains perçus grâce au premier volet tandis que la Fox serait chargée de le distribuer. Pour L’empire contre-attaque, Georges Lucas créa une société de production supplémentaire nommée The Chapter II Company, venant ainsi épauler ses sociétés Lucasfilm et Industry Light and Magic (ILM) qui était spécialisée dans les effets spéciaux et dont Lucas restructura et renforça les effectifs.

Pour L’empire contre-attaque, Georges Lucas écrivit le script mais endossa le rôle de producteur exécutif et confia la réalisation à Irvin Kershner. Ce second volet engendrera un bénéfice de 365 millions de dollars au box-office. Le retour du Jedi, réalisé par Richard Marquand mais toujours produit et co-écrit par Georges Lucas, sortira le 23 mai 1983. Il génèrera 309 millions de dollars au box-office américain et 475 millions dans le monde22. Au grand dam de son ami réalisateur Francis Ford Coppola23, il faudra attendre près de 16 années pour revoir Georges Lucas à la réalisation et uniquement pour une nouvelle trilogie Star Wars qui correspondra aux préquels de la saga, à savoir les épisodes I, II et III : La Menace fantôme (1999), puis L’Attaque des clones (2002) et enfin La revanche des Sith (2005).

1977 cinema billboard advertising Star Wars

En cumulant l’ensemble des produits dérivés, la franchise Star Wars a généré en 35 ans près de 27 milliards de dollars. En 2012, La Walt Disney Company rachète la licence Star Wars et la société Lucasfilm à Georges Lucas pour un montant de 4 milliards de dollars24 et produira ensuite les épisodes VII (2015), VIII (2017) et IX (2019). La fortune de G. Lucas était estimée, en 2019, à 6,4 milliards dollars en selon Forbes25.

« Je vais faire faire la pire chose que vous puissiez faire, à savoir financer mes propres films mais ensuite personne ne pourra me toucher ».

Lorsqu’il était encore étudiant en cinéma, Georges Lucas eut l’opportunité de travailler avec plusieurs nouveaux studios qui étaient novices en termes d’expérience professionnelle mais friands de jeunes créatifs26. En pleine effervescence artistique, Lucas réalisera entre 1965 et 1969 près d’une dizaine de courts métrages27. Mais lorsque ces studios décidèrent de reprendre le leadership créatif, Lucas prit ses distances28. Il va ensuite créer en 1969, avec Francis Ford Coppola, la société de production American Zoetrope avec laquelle ils coproduiront son premier long métrage THX1138 en 1971. Il quittera peu de temps après la société pour créer, la même année, sa propre compagnie Lucasfilm Ltd avec laquelle il réalisera et produira deux ans plus tard American Graffiti. Malgré le succès au box-office de ce second long métrage29, seuls les studios de la Fox, en la personne d’Alan Ladd Jr, acceptèrent de financer le script de Star Wars.

Universal Music avait gagné beaucoup d’argent avec la bande originale d’American Graffiti ; bien que Georges Lucas eût imposé son choix pour les différentes musiques du film, il ne toucha pas le moindre dollar30. Raison qui le poussera à demander postérieurement les droits musicaux pour Star Wars. En restant basé près de San Francisco, G. Lucas voulut marquer une rupture à la fois géographique avec Hollywood mais également symbolique car elle était synonyme de pouvoir et de liberté artistique. Il déclara à ce propos : « J’étais toujours été à San Francisco, je n’ai donc jamais vraiment été embêté par les dirigeants de Los Angeles car ils étaient obligés de prendre l’avion pour venir me parler. J’ai seulement dit : Je vais faire la pire chose que vous puissiez faire, à savoir financer mes propres films mais ensuite personne ne pourra me toucher »31.

Les diverses frustrations de Georges Lucas ont engendré chez lui une fervente volonté d’indépendance qui se manifesta dès les négociations des licences en 1973 puis se confirmera lors la signature pour l’Empire contre-attaque.

« J’ai passé ma vie à créer Star Wars, 40 ans durant, et y renoncer a été très, très douloureux… »

Abstraction faite du montant pharamineux de la vente de la licence à Disney, cette dernière se fit dans la « douleur » pour Lucas. « J’ai passé ma vie à créer Star Wars, 40 ans durant, et y renoncer a été très, très douloureux… ».32 Il pensait que Disney le consulterai pour les différentes suites, d’autant qu’il avait déjà commencé à travailler sur le script de l’épisode IX en 2012, mais ce ne fut pas le cas : « Ainsi va la vie » ajoutera-t-il.

Georges Lucas confia à l’écrivain Paul Duncan, auteur de plusieurs ouvrages sur Star Wars, qu’il avait finalement vendu la licence pour s’occuper davantage de sa famille, faire des petits films expérimentaux ou créer des musées33.

Bien qu’il ait continué à travailler avec Hollywood par le biais de ses différentes compagnies spécialisées dans les effets spéciaux et à travers ses co-productions, notamment avec Steven Spielberg pour la série des Indiana Jones, Georges Lucas gardera, après 1977, la main mise artistique, technique et financière sur le reste de sa carrière, s’apparentant en quelque sorte comme un réalisateur anti système au sein du système.

Notes


1 https://www.celebritynetworth.com/articles/entertainment-articles/how-one-genius-decision-made-george-lucas-a-billionaire/

2 Alain Boillat citant le livre de Marcus Hearn : « Qui se préoccupait des produits dérivés ? A l’époque, il ne s’agissait guère que de posters et de tee-shirts. L’accord fut signé le 20 août 1973 […] »

3 Discours de Georges Lucas à l’AFI https://www.youtube.com/watch?v=v94Tb8RN84U

4 Extrait de l’interview de Georges Lucas par l’AFI (American Film Institute) https://www.youtube.com/watch?v=dPJ2gQdKXqk

5 Newstatesman: “Lucas wanted control of the music, sequel and merchandising rights to his creations. Fox conceded him 60 per cent of the merchandising, aware of its potential value to them, but eventually agreed that Lucas’s share would rise by 20 per cent a year for two years after the film’s release.”

6 Archives CNN: « When I started to write it, it got to be too big, it got to be 250, 300 pages, » Lucas said. « I said, well, I can’t do this. The studio will never allow this. I will take the first half, make a movie out of that, and then I was determined to come back and finish the other three, or other two stories.”

7 The Hollywood Reporter

8 Encyclopedia of Play in Today’s Society, Volume 1, p. 345 https://books.google.co.uk/books?id=7DiB3z2fBpAC&pg=PA345&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false

9 TIME Magazine: “In an article intended for the cover of the May 30, 1977, issue, TIME writer Gerald Clarke proclaimed Star Wars “a grand and glorious film that may well be the smash hit of 1977, and certainly is the best movie of the year so far. …”

10 Encyclopedia: Lucas told Gerald Clarke of Time, « I wanted Star Wars to have an epic quality, so I went back to the epics. Whether they are subconscious or unconscious, whatever needs they meet, they are stories that have pleased or provided comfort to people for thousands of years. » 

11 Craig Stokely de la société Kenner découvre les personnages du film en visionnant le teaser du film: “But in February 1977, it took Stokely just a couple minutes to believe Star Wars could reinvent the rules. He only watched the trailer, but that was enough time to see the robots and the vehicles. He didn’t know the plot or the point. But he saw toys in every scene, in every second”.
https://www.seattletimes.com/nation-world/cincinnatis-kenner-took-risk-with-1977-star-wars-toy-iou/

12 Den of Geek

13 Lakeland Ledger. December 18, 1977. p. 27. Retrieved January 9, 2012

14 Ibid

15 Celibrity net worth

16https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Star_Wars_Electronic_Battle_Command,Made_In_Hong_Kong,_Copyright_1979_By_CPG_Products_Corp.,_Cat._No._40370(Electronic_Game).jpg

17 Encyclopedia

18 The Hollywood reporter

19 Ibid

20 Marin Independent Journal: “In 1979, the filmmaker submitted plans for the former Bull Tail Ranch to become a « creative retreat where Lucasfilm and their filmmaking colleagues can meet, study, collaborate, write, edit and experiment with new filmmaking ideas”.
https://web.archive.org/web/20070929091445/http://www.marinij.com/westmarin/ci_5564105

21 The New York times: “Fox eventually put up most of the $11 million the first film cost to make. At the time, the studio thought the project was expensive. Of course, it turned out to be one of the best bargains in movie history. Since its release in 1977, “Star Wars” has grossed more than $420 million worldwide”

22 Box office mojo

23 IndieWire: Francis Ford Coppola Feels Sad ‘Star Wars’ Dominated George Lucas’ Directing Career

24 Celibritynetworth

25 Insider

26 Ibid: “They didn’t know anything about the movie business. So they said, « Maybe we should hire kids from film schools. They supposedly know how to make films. »

27 Filmographie de Georges Lucas sur Sens Critique https://www.senscritique.com/liste/Filmographie_de_George_Lucas/1135954

28 Insider 30 octobre 2014: “But then the studios went back to saying, « We don’t trust you people and we think we know how to make movies. You know, I took a script course at San Diego State and so I am going to tell you how to make these movies. » …

29 Le film rapporta 140 millions de dollars pour un budget initial de 775 000 dollars, Georges Lucas devint rapidement millionaire.
https://www.businessinsider.com/star-wars-george-lucas-net-worth-movies-house-spending-2019-7?IR=T#the-following-year-lucas-directed-coming-of-age-film-american-graffiti-one-of-the-most-profitable-movies-of-all-time-made-on-a-budget-of-777000-it-earned-140-million-in-revenue-3

30 Newstatesman: “Universal were making a fortune out of an American Graffiti soundtrack that was simply a repackaging of old hits featured in the movie. Of the profits of this Lucas saw nothing despite having selected the tracks featured and fought long and hard for their inclusion in his film.”

31 Insider 30 octobre 2014: “I was still in San Francisco so I never got bugged by the L.A. industry because all the executives had to fly to San Francisco to talk to me. … I just said « I’m going do the worst thing you can do which is to finance own movies, but then nobody can touch me. » …

32 https://www.indiewire.com/2020/12/george-lucas-painful-selling-star-wars-disney-1234602797/

33 https://twitter.com/kershed/status/1334515036820271111?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1334515036820271111%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.indiewire.com%2F2020%2F12%2Fgeorge-lucas-painful-selling-star-wars-disney-1234602797%2F

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